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Rencontre avec Paul Personne : Salon de la musique 2001

Paul Personne

C’est au Salon de la Musique 2001 que nous avons rencontré par hasard Paul Personne ; après un set improvisé de trois morceaux - selon lui pas terrible, mais "kiffant" pour nous - LE bluesman français a accepté de nous donner un peu de son temps pour répondre à nos questions. Questions qui, dans la spontanéité de l’instant, se sont muées en simples mots auxquels le chanteur-guitariste a réagi sans faux-semblants…

Guitare…

Ben j’sais pas, la guitare c’est euh… En fin de compte j’y suis venu assez tard à la guitare… Je pense qu’au départ je voulais être guitariste : je m’étais fait une guitare en bois, en carton, avec des élastiques, mais ça, j’avais 11-12 ans, et on remonte dans les années… au tout début des années soixante, donc euh… 61, par là, 62. J’imitais mes idoles à l’époque, Johnny Halliday, Eddy Mitchell, et j’me roulais par terre en faisant le con.
        Et ma frangine, qui est musicienne, a ramené un jour un batteur à la maison, et j’ai flashé sur cette batterie jaune pailleté, et donc, j’me suis dit : « Ouais, tiens, la batterie, pourquoi pas ? », et j’ai piqué plein d’aiguilles à tricoter à ma mère, une petite boîte de biscuits, une louche, tu vois, et puis pour moi c’était bon, j’avais ma batterie…
        Et donc, bon, j’ai joué de la batterie pendant une dizaine d’années, mais je pense que la guitare était toujours en fond ; et puis un pote m’avait laissé une vieille guitare euh… c’était même pas une guitare acoustique normale, c’était une guitare espagnole mais avec des cordes en acier, à la limite de l’injouable, mais pour moi, ça m’a permis d’apprendre mes premiers accords, mes trucs… de relever les accords des Beatles, des Stones, de tous ces groupes anglais que j’écoutais à l’époque, quoi. Et puis, je crois que le gros déclic, je l’ai vraiment eu quand j’ai entendu… j’sais pas, Clapton avec John Mayall sur le premier Bluesbreaker, tu vois, et puis tu as Green et Taylor, tous ces gens-là, et puis forcément Jimi Hendrix, l’incontournable de l’époque, c’était le raz de marée, tu vois…
        Bon, j’ai encore joué de la batterie quelques années, puis au bout d’un moment, j’ai commencé vraiment à me mettre à la gratte, et je pensais que cet instrument était peut-être plus adapté à ce que je recherchais, c’était plus mélodique, c’était plus en douceur, en sensibilité - même si on peut être très agressif sur une guitare - , les nuances me plaisaient plus que sur la batterie… Donc, je suis parti en Angleterre m’acheter ma première guitare, qui était une SG Junior blanche, j’me rappelle bien, et puis voilà. Je me suis acheté un petit ampli Fender, et j’ai commencé à dire : « OK, il faut trouver un batteur, j’me mets guitariste rythmique et je chante »…
        Donc, j’y allais avec d’autres musiciens, et pour moi la guitare, ç’a toujours été un instrument magique… Ce qui est vachement bien avec la musique en général, que ce soit à la guitare ou à d’autres instruments, c’est que tu en vois jamais le bout, quoi : t’es toujours à la recherche de quelque chose, et tu vois la vie tout doucement. Une colline euh… où il faut jamais espérer arriver au sommet, parce que le sommet, il risque d’être très très ennuyeux ; et t’as pas tellement le choix : y rester, c’est impossible, donc t’as forcément l’autre versant à redescendre un jour ou l’autre. Donc, ce qui est vachement intéressant c’est apprendre tous les jours, écouter, se bonifier, et puis voilà, quoi…
(Un des luthiers des stands entre dans la pièce à amplis, dans laquelle nous faisons l’interview) Donc quelqu’un vient d’entrer avec un portable dans la pièce, alors bon, ben… c’est le bordel d’un seul coup, tu vois, mais bon !… (Rires, le luthier sort…)
        Voilà en gros, pour moi la guitare, ça représente tellement de choses… On a quelques notes à notre disposition, et puis… Tu t’rends compte le nombre de mecs qui jouent sur des guitares dans le monde entier, qui sont de marques équivalentes, sur des amplis équivalents, mais qui n’ont pas du tout le même son parce que le son, tu l’as à l’intérieur de toi. C’est ça qui est intéressant.

Blues…

       J’ai mis du temps avant de comprendre, dans ces années soixante, quand j’écoutais ces groupes comme les Stones, les Animals, qu’en fin de compte c’étaient des groupes qui avaient comme première influence le blues ; mais je l’savais pas. Nous, on nous présentait ça comme des groupes de rock, quoi, de rock anglais.
        Ça aussi, le déclic a été après John Mayall vers 67, quand on a vraiment présenté ce mec-là comme le père du blues anglais ; alors j’ai fait : « Ah ouais, blues… », tu vois, et puis sur les titres, y’avait indiqué derrière les pochettes Muddy Waters, alors t’apprends, puis t’avais des tas de noms comme ça, BB King et tout. Tu commences à t’intéresser, à chercher d’où viennent les sources, et je pense que ce qui a été intéressant, c’est que des mecs comme BB King ont remercié des gens comme Clapton d’avoir un peu passé le bâton, le relais. Parce que nous, surtout en France, on savait pas vraiment ce qu’était cette musique-là ; bon, OK, on entendait Ray Charles à la radio, mais on était pas forcément informé de la provenance.
        Et donc, j’ai commencé à remonter la filière : dès que j’avais deux-trois ronds, j’allais chez les disquaires et je m’achetais un ou deux disques de blues. Et là, tu tombes sur une mine, quoi, parce qu’il y a tellement de monde à découvrir, tellement de gens… Alors, j’ai remonté le cycle, avec les trois King, BB, Albert, Freddy, T-Bone Walker, puis Robert Johnson, Billie Hollyday, et puis tu remontes, quoi…
        C’est vachement enrichissant, et puis je me suis rendu compte que finalement c’était la musique qui me touchait. Je me suis pas réveillé un matin en me disant : « Qu’est-ce que je pourrais faire ? Oh ben tiens, j’vais faire du blues ! », tu vois. J’étais toujours attiré par cette musique-là, en permanence. (Après qu’une deuxième, puis une troisième personne ont cherché à entrer dans la pièce :) Oh, y’a du monde ici, c’est un vrai lieu de passage ! (Rires)
        Donc, voilà quoi ! Je me suis complètement impliqué dans cette découverte parce que c’était une musique qui me touchait, et à travers laquelle je pouvais raconter des petits bouts de vie, des sensations, des… Voilà, quoi.

Célia…

       C’est une chanson dont le texte est de Boris Bergman, et… C’est à la fin de l’album « Rêve Sidéral d’un Naïf Idéal », j’pense que j’avais quasiment tout, et… J’sais pas, six mois auparavant, Boris m’avait laissé ce texte que j’avais trouvé vraiment beau. Boris a souvent l’habitude de faire des sortes de petits films dans ses chansons, mais là, vraiment, il ne manquait plus que la caméra et l’éclairage… Et donc, j’ai essayé de trouver une mélodie là-dessus, et je trouvais absolument pas ; je savais pas quoi faire avec ce texte. J’aurais bien voulu l’utiliser mais je savais pas quoi faire.
        Et d’un autre côté j’avais une musique très mélancolique, qui correspondait à ce genre de choses, mais c’était qu’une musique instrumentale, quoi, avec des murmures, des choses comme ça, des p’tites parties de guitare, j’entendais du saxophone… Et je me suis dit : « Y’a moyen de trouver un truc, c’est de faire du "talking"… », c’est à dire juste de causer, de raconter l’histoire comme ça, avec la musique qui plane derrière. Et c’est ce que j’ai essayé de faire, et ç’a été très très vite en studio, j’y suis arrivé très rapidement ; j’trouve que c’est une bonne expérience.
        Comme quoi, en musique, tout est possible, tout est permis, il suffit, à des moments, de rassembler ces deux mondes que sont la musique, le texte, et puis y’a des fois où tu trouves une chouette mélodie, mais des fois, si tu trouves pas,  il faut pas forcer, il faut raconter l’histoire telle qu’elle est, comme j’ai fait après pour "Où est l’paradis", ou des choses comme ça… Sur le dernier album pour "Nouvelle Rage"…
        J’aime bien le côté parlé ; j’aime bien des mecs comme John Lee Hooker ou Tom Waits qui souvent causent, ou un indien Sioux qui s’appelle John Trudell qui est un poète américain, enfin amérindien, et qui pareil, sur des musiques, ne fait que causer, il raconte des choses. C’est un peu ce que faisait Gainsbourg à la fin, dans ses derniers album, il faisait que de la tchatche, mais j’trouvais ça vachement bien…

Mécanique…

Mécanique ?

Oui, mécanique…

       Ben, j’ai fait un CAP de de "tourneur-ajusteur-fraiseur". Et, oui, il fallait bien que j’trouve un boulot ; mon père me disait : « La musique, tu t’en sortiras pas. Tu gagnes pas ta vie avec ça… », et puis voilà, quoi. J’sais pas comment j’ai fait pour avoir ce CAP, mais ça m’a fait vraiment plaisir pour mes parents, tu vois ; moi, j’m’en foutais…
        La seule différence, c’est que je me suis rendu compte que ça m’a vachement servi dans la vie. Au niveau manuel, je suis assez bricoleur, j’aime bien faire des tas de trucs : des meubles, réparer un truc qui déconne, démonter une guitare, démonter les micros, enfin faire des tas de choses. Et c’est vrai que la mécanique m’a été utile… OK, ta caisse avance pas, faut trouver une solution, t’as pas un rond : ben tu vas à la casse, tu vas chercher les pièces qui te manques, et faut qu’tu t’y colles, quoi ! T’achètes une revue technique, et puis tu mets les mains dans le moteur.
        Et donc ça m’a permis de réparer pour pas cher ma vieille 4L ou des choses comme ça, donc, ouais… (Rires)

Scène…

       La scène, c’est un moment privilégié, exceptionnel, on sait jamais ce qui nous attend, on sait jamais ce qui va se passer. À n’importe quel niveau, tu peux avoir des galères, tu peux… t’es forcément fatigué : c’est-à-dire en quasiment dix jours, dix-quinze jours, en tournée - même si t’as des bonnes conditions - tu bouffes quand même un paquet d’énergie que t’avais accumulé depuis pas mal de mois. Ce qui fait qu’après, tu vis vraiment toujours sur le fil, sur la tangente, sur les nerfs, sur la fatigue, sur euh… des choses comme ça.
        Tu sais jamais si tu vas avoir le son sur scène, tu sais jamais si les gens auront le son dans la salle, tu sais jamais… ce qui va se passer. Bon, y’a des moments magiques, style tu peux être malade et complètement crevé, tu vois, et tu te demandes comment tu vas faire pour jouer ; et quand le mec te dis « Bon, allez, c’est dans cinq minutes, on s’approche de la scène ! », fouhhh… t’es out, tu sens que tu vas pas être très bon ce soir-là. Et tu rentres sur scène, et y’a des moments ben… une fois que le trac est passé, au bout du deuxième morceau, les gens sont là, ils te portent, et toi tu les  entraînent dans le monde où tu veux bien les emmener… Tu sors de scène, tu vas dix fois mieux qu’avant, t’es plus malade, tout va bien…
        Y’a vraiment un côté "bonne médecine" avec la scène, et puis c’est des moments assez uniques, quoi, que tu peux pas connaître dans la vie de tous les jours. Y’a des jours où tu prends du bon temps en répétition, ou dans des bœufs, tu vois, mais j’pense que quand tu finis un concert et que t’as l’impression que t’as pas été trop mauvais, et que les gens ont un sourire, une banane sur le visage, les bras en l’air, les yeux qui pétillent, t’as l’impression d’avoir servi à quelque chose dans ta journée : c’est un bel instant, un bon moment, que t’as pas dans d’autres moments dans la vie.
        L’amour est une bonne découverte, l’amitié est autre chose encore, mais le fait de monter sur scène, c’est une situation très particulière, quoi. Ouais le studio, la scène… Moi, j’sais que j’aime bien le côté enfermé en studio, où tu gamberges des tas de choses, mais la scène, c’est un dépassement de soi qui peut être très très agréable.

Merci beaucoup !

C’est avec plaisir…

Jean-Marc F.
Retrouvez cette interview sur le site d'AMB
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