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Paul Personne : 04 décembre 2003 Blues Magazine n°30

-Blues Magazine (Patrick Guillemin) : Après plus de 30 ans de carrière , es-tu satisfait de ton parcours musical ?
Paul Personne : C’est une question ambiguë. Je n’ai pas honte de ce que j’ai fait, et lorsque je me retourne sur mon passé, je dois dire que j’ai toujours été en phase avec moi-même. Depuis l’âge de 14 ans, je me trimballe toujours dans les mêmes sillons Blues, Rock et Country. Tous ces styles se sont mélangé en moi, c’est comme un bagage que j’ai dans la tête et que j’ouvre inconsciemment quand je joue de la guitare. Je pense toujours que mon dernier disque aurait pu être mieux. J’ai toujours l’image de cette colline à gravir . Une fois au top, tu n’as plus grand chose à atteindre et le risque est de retomber. Après tu regardes à gauche et à droite en espérant trouver une nouvelle colline à gravir. C’est là que je trouve ma motivation. Lorsqu’il m’arrive de réécouter un de mes disques, je peux très bien penser du mal de ce que je fais, alors qu’à d’autres moments, je peux avoir de bonnes surprises Lorsqu’une pulsion créatrice me gagne, je fonce dans le studio pour garder une certaine fraîcheur, et j’évite de rester très longtemps sur un projet.

-BM : Comment analyses-tu l’évolution de ta musique au fil du temps ?
Paul Personne : J’évite de m’analyser sinon ca ne se passe pas bien (rires). J’aurais tendance à dire que j’ai été très marqué musicalement pendant mon adolescence. Cela a commencé par le Rock avec des musiciens comme Eddie Cochran, Gene Vincent ou Little Richard, puis par les groupes de rock anglais. Ils m’amenaient cette rigueur et ce son crade que j’aimais. J’ai découvert la richesse musicale du Blues avec John Mayall, Eric Clapton, Peter Green et Mick Taylor. Ce sont eux qui m’ont fait découvrir le Blues noir américain, comme à pas mal de gens de ma génération. Parallèlement à ca vers 1966/67 Hendrix est arrivé et il y a eu aussi le Rythm’n’blues avec James Brown et Aretha Franklin. J’ai ensuite évolué vers le Jazz avec Oscar Peterson et Coltrane puis vers le Country Rock de Scott Walker. Tout ca est au fond de ma mémoire, c’est mon mélange musical et lorsque des trucs me tombent sous les doigts je ne me dis pas : tiens aujourd’hui, je vais faire du Blues, une Ballade ou du Rock’n’roll. En fin de compte, j’ai l’impression que depuis des années, je recycle tout cela en permanance. A l’époque de 24/24 en 86, je me rappelle avoir ingurgité d’autres ingrédients que j’ai ajouté à l’album. En concert, j’ai entendu crier : Hé Paulo, on veut du Blues ! J’ai tout de suite pensé que ces gens s’étaient trompé de concert, car ce n’était pas mes inspirations du moment. Je joue une musique bluesy mais pas du Blues pur. Je n’ai jamais essayer de revendiquer une forme de purisme. Je ne veux pas fonder mon style la-dessus et je ne veux pas rivaliser avec Freddie King ou Muddy Waters que j’écoute toujours avec grand plaisir et dont il m’arrive de jouer les morceaux lorsque je fais un bœuf.

-BM : Il est très net que tu as développé un style personnel, que nous pouvons apprécier depuis maintenant pas mal d’années.
Paul Personne : Cela me fait très plaisir de te l’entendre dire. Lorsque quelqu’un entend deux notes de guitare et dis : tiens c’est Paulo, cela me fait chaud au cœur. D’années en années j’ai l’impression que j’enfonce un petit clou qui se transforme en quelque chose qui me ressemblera. Je ne m’en rends pas vraiment compte. Je suis toujours étonné lorsque d’autres musiciens me demandent de jouer avec eux. Lorsque je leur dis : pourquoi moi ? Ils me répondent : Tais-toi, branches-toi et joue. Je trouve cela très cool et plutôt valorisant.

-BM : Que gardes-tu comme souvenir de tes premières formations ?
Paul Personne : J’en garde le souvenir forcément attendrissant de l’adolescence. En point de mire, nous avions les Kings, les Stones, les Beatles ou les Animals. Tous ces gars là écoutaient et jouaient du Blues, mais je ne le savais pas. A l’époque, nous cherchions des caves pour nous entraîner, le matos était de la merde ; Nos instruments étaient désastreux, les amplis étaient de vieux postes de radio, un pote s’était fabriqué une guitare lui-même, je ne te raconte pas la justesse de la guitare. Pour compléter le tout, nous avions une batterie que nous avions volée dans une maison de jeunes. Sans la musique, j’aurais probablement sombré dans la délinquance. Lorsque tu as 14 ans, tu as envie d’être une star, de jouer sur les plages, dans les boîtes de nuit, même si tu as payé deux francs cinquante. Il y a l’excitation de la musique, les filles, la sève qui monte dans le sang. A cet âge là, tu ne te doutes pas, que la route va être très, très longue. J’ai toujours aimé le début d’un groupe, quand il faut lui trouver un nom, se cotiser pour les affiches… Toutes ces petites galères qui donnent du piment à la vie. Au départ d’une aventure, tu espères toujours trouver le soleil au bout de la route.

-BM : Il semble que le groupe l’Origine, fondé fin 67 et début 68 ait marqué une étape importante pour toi. Peux-tu nous en parler ?
Paul Personne : Il y a deux groupes qui ont été vraiment important pour moi, et dont pratiquement personne n’a entendu parlé : l’Origine et la Folle Entreprise. Au début le groupe s’appelait les Taciturnes. Nous étions un groupe de reprises, nous faisions de tout, le but était de reprendre ce qu’on entendait à la radio : les Beatles, les Animals, les Doors. Nous avons commencé à composer avec un gars qui nous écrivait les textes. Nous avions entre 16 et 17 ans, et Christian Dupont en avait 30. Il était cultivé, prof de français et de philosophie, il était branché Boris Vian, Jacques Brel, Georges Brassens, Gainsbourg… Il trouvait que notre groupe, de rage et de rébellion, était branché. Il sentait que musicalement nous étions un groupe original et exprérimental. Nous faisions sonner nos instruments d’une drôle de manière, pour l’époque. Patrice Blanc-Franquart nous comparait à un groupe que nous ne connaissions pas, les Pink Floyd. Cela nous semblait étrange.

-BM : C’était plutôt flatteur.
Paul Personne : Bien sûr, mais malgré qu’il ait du mal à nous croire, nous ne connaissions vraiment pas ce groupe. Avec Christian Dupont pour faire cet album concept, nous nous sommes retrouvés avec son frère, qui faisait des débuts d’ingénieur du son, au studio Gafarel à Paris. Mouloudji sortait du studio et nous n’avions qu’une seule journée pour enregistrer une dizaine de chansons, mixage compris. Nous n’avions pas du tout l’habitude du studio et nous avons joué la mélodie en prise live. Pour les chœurs nous étions tous autour d’un seul micro. Ensuite, tout était mixé et basta ! Après cela, Christian Dupont a aussi tenu son rôle de manager. Nous nous sommes retrouvés chez Pathé Marconi, on avait 17 ans. Comme nous n’étions pas majeurs, il y a eu une réunion avec nos parents afin qu’ils acceptent de signer la sortie d’un 45-tours. Malheureusement, par la suite, on n’a jamais eu vraiment l’occasion de pouvoir jouer notre musique sur scène. Nos textes étaient hyper révolutionnaires, soixante-huitard à font la caisse et trop philosophiques. Nous devions avoir 21/22 ans au printemps 73, lorsqu’une troupe théâtrale américaine est arrivé à Paris. Nous avons sélectionnés pour être le groupe qui chanterait. Cela a été une expérience extrêmement enrichissante. Nous devions mettre en musique tout ce qui se passait au niveau théâtral. Tout s’est très bien passé, mais nous bossions 8 à 10 heures par jour. Le spectacle a duré un mois, puis la troupe est partie pour Londres et New York où ils ont pris d’autres gens sur place. C’est après cette expérience mélangeant musique et théâtre qu’un soir avec mon pote guitariste Fifi, on a décidé de créer La Folle Entreprise. Un pote nous a prêté une baraque pour les répétitions, et pendant un mois on a fait venir des gens, pas forcément professionnels, avant de monter le groupe. Nous étions une quinzaine, une vraie communauté hippie. On vivait tous ensemble, on se débrouillait avec ce qu’on pouvait ; on n’avait pas un rond. Au niveau humain, ce fut une leçon très enrichissante. Pendant longtemps, j’ai espéré que l’être humain puisse vivre en bonne intelligence en communauté. J’ai été assez déçu, mais qui n’essaie rien n’a rien. La Folle Entreprise était un mélange de musique et d’acting. On créait une ambiance de fiesta en distribuant des percussions aux gens de la salle. C’était une musique assez sauvage, très tribale. A cette époque nous étions branchés Amérindiens. Cela a duré deux ans. On a signé le label Motors pour enregistrer en Angleterre. Après le voyage en hovercraft, nous étions tous malades, mais il a fallu malgré tout enregistrer en studio. Si en live notre groupe génial, nous n’avions pas une très grosse expérience du studio. Et puis, il nous fallait faire tenir une chanson de 10 minutes en 3.30 minutes. Nous n’avions pas eu le droit d’assister au mixage et lorsque j’ai écouté le 45-tours j’ai pensé que c’était une honte, car cela ne nous ressemblait absolument pas. Après quelques passages sur RTL, ça n’a pas été plus loin. Vu la précarité du style de vie que nous avions, au bout d ‘un moment il y a eu des tensions au sein du groupe. D’un groupe de 15 on s’est retrouvé à 8. Puis de 8 on est passé à 4. On a fini par faire des covers dans les bars pour ramener de l’argent à la maison. Il a fallu vendre la sono et ça a été une très grosse déception.

-BM : Vers le milieu des années 70, n’as tu jamais eu envie d’arrêter après toutes ces galères ?
Paul Personne : J’ai arrêté plein de fois. J’ai toujours eu des coups de blues, même lorsque j’étais môme. D’un jour à l’autre je pouvais tout plaquer et refaire une vie totalement opposée dans les heures qui suivaient, me changeant tant mentalement que physiquement. En essayant de trouver une normalité que je n’avais jamais eue. J’ai toujours eu l’impression de marcher sur des sables mouvants. Heureusement, j’ai de la chance de ne pas tomber dans la dope. Après La Folle Entreprise, j’ai fait des petites démos assez sauvages, qui étaient un mélange de musique américaine tribale. J’ai fait toutes les maisons de disques, en choisissant au hasard. Lorsque je me pointais devant un directeur artistique avec mes jeans pourris, mes liquettes à fleurs, mes vestes à franges et mes cheveux hyper long, ils rigolaient, et d’entrée ils me disaient : Ouais, c’est pas mal ce que tu fais, mais il faudrait que tu trouves un parolier du style Etienne Roda-Gil. Et là je disais : OK les mecs, nous ne sommes pas sur la même longueur d’onde, je reprends ma bande. Le paroxysme a été lorsque l’on m’a dit : Tu es mignon et t’as une belle gueule. En coupant tes cheveux et en mettant un petit costard tu pourrais plaire aux minettes. En arrondissant un peu ta musique il n’y a pas de problème. Puis il a repris : Tu sais le public est con, il prend ce qu’on lui donne, tu réfléchis trop dans ce que tu fais, il faut taper plus bas que ça, le public est vraiment bête. Je suis ressorti de cet entretien totalement dégoûté. La baraque que l’on avait louée et retapée avec La Folle Entreprise vers Villefranche de Lauraguet, était toujours libre. Je suis reparti là-bas en me disant : j’arrête toutes ces conneries, Paris , son show-biz et tout ce qui l’entoure. Pendant une période, j’ai travaillé à mi-temps dans une imprimerie. La boite a fermé et j’ai donc touché le chômage. Je voulais m ‘acheter une roulotte avec des chevaux et finir comme ça. La musique demeurait ce qui comptait pour moi, mais ce qui l’entourait ne m’intéressait pas. Un jour, mes potes sont passés me voir et nous avons rejoué ensemble avec grand plaisir. Alors ils sont revenus me voir avec deux colonnes de son et des amplis. Nous avons joué toute la semaine et nous avons pris notre pied. Avec l’argent qui me restait, je suis parti en Angleterre m’acheter une Gibson SG junior, puis à Paris, j’ai trouvé l’ampli qui me convenait. On a monté Bracos Band, et on est reparti frapper aux portes des festivals. On faisait des covers, de Dylan, des Doors, de Muddy Waters, et au milieu de tout ça, je trouvais le temps de composer. J’écrivais en anglais, en m’aidant de mon bouquin de slang. Nouvel échec, nouvel arrêt…. Avant de créer Backstage…. Même, après un Olympia triomphant, il m’est arrivé d’avoir envie de tout mettre au feu : partitions et guitare. C’est bizarre, j’ai toujours eu cette ambiguïté d’espoir et de dégoût. Par ailleurs, il faut savoir tracer sa route sans s’occuper de tous les médias autour, qui brûlent le lendemain ce qu’ils ont adulé la veille.

-BM : C’est très français.
Paul Personne : Oui, c’est vrai. Je me souviens des débuts du groupe Téléphone, un groupe de copains lycéens. Lorsqu’il a vraiment commencé à cartonner, toutes les critiques dans la presse qu’on dit spécialisée ont commencé à dire que c’était un groupe récupéré qui ne s’adressait qu’à des ados… ils n’avaient pas compris qu’à l'âge de l’adolescence on se pose plein de questions et qu’on a besoin à ce moment-là d’un guide. Pour moi, c’était l’époque d’Hendrix, de Dylan… A cette époque, Téléphone avait ce rôle de guide pour beaucoup d’ados. Seulement la presse avait décidé de les descendre sous prétexte que les textes étaient pour des ados. Il faut savoir passer au dessus de ça, même si c’est difficile. Je dis toujours : je propose et les gens disposent. S’ils aiment, ils viennent au concert avec des potes, s’ils n’aiment pas, ils ne viennent pas, et c’est tout. La promo, le service après-vente, c’est très dur. Parler avec toi, c’est facile car je suis hors promo, et que je trouve notre conversation marrante. Quand tu es en pleine période promo, où le moindre de tes propos est analysé, au bout d’un moment, c’est dur. Même si bien sûr, le but pour la maison de disques, c’est de vendre le maximum d’albums. Je n’ai rien contre, mieux vaut entendre dire que tu es disque d’or plutôt que tu n’as vendu que deux mille albums. Néanmoins, si je pouvais me passer de promo pour vendre mes disques, ce serait bien volontiers.

-BM : A l’époque de Bracos et de Backstage, qu’est-ce qui a fait la différence entre Téléphone qui est sorti et toi qui a continué à ramer ?
Paul Personne : L’anglais. Au tout début, on faisait des tas de trucs avec Téléphone Je me rappelle de concerts où on jouait ensemble. On choisissait avant le concert qui jouerait avant l’autre, et le dernier groupe devait toujours mettre les bouchées double pour bien finir. C’est très stimulant, on s’entendait bien. Téléphone était le groupe français à la Stones, Trust était le groupe de hard français. C’était vraiment les deux pôles, et nous ; Bracos band le groupe de Blues rock, nous avons eu tort, de ne pas chanter en français, car nous aurions eu, nous aussi, notre part de gâteau, comme eux. Chanter en anglais devait nous permettre d’aller chanter en Allemagne, Hollande, Angleterre et pourquoi pas… aux States. En fin de compte, les festivals ne se passaient quasiment qu’en France. Ainsi cinquante pour cent de ce qu’on faisait était perdu avec la différence de langage. Pour moi la langue française est moins swingante que l’anglais, c’est plus une langue d’écriture que de musique. Mais l’important pour les gens était qu’on leur raconte des choses qui les touchent pour se sentir concernés. Même si pour moi, il n’y a que lorsqu’on m’a traduit du Dylan que j’ai eu envie de lire du Rimbaud et redécouvrir Baudelaire. Tout ce que je n’aimais pas quand j’étais môme. Toute cette richesse intellectuelle que j’avais toujours refusée d’apprendre à l’école, car je préférais aller faire du rock dans les caves. C’est à cette époque que j’ai redécouvert le patrimoine français. J’ai également découvert le chanteur français qui pour moi est un des rares en France à savoir mélanger le verbe et le swing, Claude Nougaro. J’aime Brassens et Brel, mais Nougaro a ce côté jazzy qui me bottait. Après le groupe Backstage, j’ai cogité de tout ce dont je viens de te parler. J‘avais quelques trucs en anglais que j’ai traduits en français, je me suis mis à raconter de petites histoires en français. C’est à partir de ce moment-là qu’est né Paul Personne.

-BM : Recevoir le Bus d’Acier pour l’album La Chance, sorti en 89, a représenté quoi pour toi ?
Paul Personne : J’ai toujours été un peu gêné par tous ces trucs médiatiques et journalistiques. Qu’est-ce qui fait que cette personne est meilleure que celle-là ? Tout ce genre d’analyse, profondément injuste, m’ennuie vraiment ! Comme tous les Oscars, les Molière, les Victoires de la Musique, les Awards… A cette époque-là, le Bus d’Acier était le critère pour les artistes plutôt rock. Lorsqu’on m’a appris que je devais me rendre au Bus Palladium pour le recevoir, j’ai dit que je ne voulais pas y aller. On m’a dit que c’était une reconnaissance de la profession, mais pour moi la reconnaissance c’était avant tout le public. C’est pour cela que je ne voulais pas m’y rendre. Puis les responsables m’ont appelé, et ils ont été tellement sympas de me dire que je le méritais, qu’ils m’ont adouci et que je n’ai pas voulu faire le bégueule. J’y suis allé, très gêné. J’ai juste dit : je ne le mérite pas plus que les autres mais comme je ne le mérite pas moins, alors je le prends. On a fait un bœuf toute la nuit. Cet album s’appelait La Chance mais c’était une période plutôt galère, car ce sont des escrocs qui ont produit l’album. La promo de l’album a été dure car je n’étais plus connecté avec. Les chansons avaient été écrites deux ou trois ans plus tôt. Je ne suis jamais très fier de mon travail, mais là, parler de mon disque a vraiment été hard. Quant à l’album La Route de la Chance, c’est simple, je n’avais même plus de maison de disques. Le tôlier était parti avec la caisse. Je me rappelle avoir fait un gros concert à l’Olympia, avec des potes comme Patrick Verbeke, Jean-Louis Aubert, Benoit Blue Boy, les Innocents ou Higelin, pour essayer de récupérer de l’argent. Cette récompense est arrivée alors que j’étais libre de contrat, en pleine merde. Je dois reconnaître qu’elle m’a bien aidé, puisque après, les maisons de disques m’ont appelé pour savoir ce que je faisais. Je n’avais jamais connu ça avant.

-BM : Le fait d’être dans une Major aujourd’hui te procure-t-il plus de sécurité et de liberté dans tes choix musicaux, ou cela reste-t-il contraignant pour toi ?
Paul Personne : Je me suis battu toute ma vie pour obtenir autonomie et liberté artistique. Depuis tout jeune, dès qu’on me disait qu’il fallait changer tel ou tel pont musical, je repartais avec ma musique et j’allais chercher ailleurs. Je n’ai jamais eu peur de me retrouver sans rien, car les pâtes au beurre, je connaissais déjà et je préférais faire ce que j’avais dans les tripes plutôt que quelque chose qui ne voulait rien dire pour moi. Alors qu’il y a plein de gens qui veulent être connu et qui feront tout pour l’être jusqu’à ne plus être eux-mêmes. Mais c’est leur choix. Par contre, je ne suis pas contre les conseils. Cela étant posé, le fait d’être dans une Major n’a rien changé. Ce que j’ai appris avec toutes les maisons de disques, c’est qu’il vaut mieux signer un bon contrat, bien inscrire à l’intérieur ce que tu veux plutôt que de signer n’importe quoi avec une personne qui croit en toi mais qui ne sera plus là dans six mois.

-BM : Tu as composé le deuxième album de Backstage avec Benoît Blue Boy ? A quelle occasion vous êtes-vous rencontré, et comment vous est venue l’idée de collaborer ?
Paul Personne : Je n’ai pas composé le deuxième album de Backstage avec lui. Il y a quelques titres où il intervient au niveau des paroles. Pour l’enregistrement de notre second album, je voulais Vic Maile, le producteur des Inmates (cf Blues Magazine N° 29) dont j’avais beaucoup apprécié le travail. Réticente, la maison Vogue m’a rétorqué qu’elle avait des directeurs artistiques et qu’il n’était pas nécessaire d’appeler un anglais. Le budget alloué étant très minime, ils me proposèrent de contacter Benoît que je connaissais bien et qui était déjà une pointure dans le Blues. J’ai dit : Pourquoi pas, ça peut faire un truc marrant. A l’époque il habitait encore en Touraine, et nous y sommes allés deux ou trois jours pour répéter. Chez lui, pour l’album, puis on a enregistré et mixé. J’ai préféré notre premier disque, il était plus frais. Antoine de Caunes avait beaucoup apprécié lui aussi et il nous avait fait de la pub dans son émission Chorus. Grâce à ça, nous avons fait une énorme tournée, très épuisante qui en fin de compte, a généré des tensions au sein du groupe. Le jour du mixage beaucoup de choses ne me plaisaient pas, je sentais la fin de Backstage. Comment j’ai rencontré Benoît ? Un jour Michael Memi, l’ancien bassiste des Frenchies, vient nous voir, et nous dit qu’il est d’accord pour produire un 45-tours. Finalement, on en a enregistré deux, et au moment du mixage, j’ai rencontré Benoît, qui sortait son premier disque lui aussi. Il faisait du Blues en français, et je l’ai trouvé vachement sympa. Dans la conversation, il m’a donné deux ou trois plans d’harmonica, et je me suis rendu compte que c’était un puits de sciences dès que tu lui parlais de Blues. Il pourrait être le John Mayall français. Nous nous sommes revus à plusieurs occasions, dans des festivals où nous avons souvent fait le bœuf ensemble. Nous avons tous deux enregistré chez Vogue avec Jacques Wolfson, le producteur qui a découvert Hallyday, Dutronc, Téléphone… Je trouve dommage que Benoît ne soit pas plus reconnu en tant qu’artiste de Blues. Il a des textes très amusants, et prend toujours ça au deuxième degré. La dernière fois que je l’ai vu, ce n’était pas loin d’ici, à L’Aigle, où Patrick Verbeke l’avait invité avec Jean-Louis Majhun. Je suis allé les voir à la balance, et j’ai reparlé avec Benoît que je n’avais pas vu depuis deux ou trois ans. Il m’a laissé son dernier CD que j’ai beaucoup aimé.

-BM : Quand as-tu rencontré Johnny pour la première fois ?
Paul Personne : C’était à l’émission Champs Elysées en 83/84, pour un spécial Johnny Hallyday avec Eddy Mitchell, Bill Deraime et Jo Lebb, l’ex-chanteur des Variations. C’est lui qui m’a invité à l’émission, et il avait demandé que tous ses invités soient sur le plateau. Ma directrice artistique, Babette Jones, connaissait très bien Johnny, elle était l’ex femme de Micky Jones, un des anciens guitaristes de Johnny. Lorsque j’ai sorti Comme un étranger, Johnny a beaucoup apprécié. Peu de temps après, il m’a invité pour une émission sur RTL, où on a joué That’allright mama en direct. Puis nous n’avons pas arrêté de nous croiser. Jusqu’à un soir de 1993, où il me dit qu’il allait faire une fête au Parc des Princes pour ses 50 ans, et qu’il aimerait que je sois là. J’avais une tournée très importante à ce moment là, et dix jours avant le concert, en rentrant à la maison je trouve un super message touchant sur le répondeur (je l’ai gardé), me disant qu’il comptait toujours sur moi. Je l’ai donc appelé lui demandant de passer à la fin de son concert, pour pouvoir faire mon concert prévu et me laisser le temps de venir ensuite. Sa production m’a donné une cassette pour me montrer comment ils jouaient Excuse-moi partenaire et j’ai vu la suite d’accords à la maison. Après mon concert, Camus a fait réserver une bagnole de flics privés avec motards devant et derrière : c’était Elvis Presley (Rires). J’ai tout juste eu le temps de me changer, de boire un verre de whisky, et je me retrouvais dans le Parc des Princes emprunt de l’ambiance survoltée des grands concerts. En arrivant sur le côté, je croise Sardou qui descend de scène, et on me dit : Vas-y, c’est à toi ! Je me suis retrouvé propulsé sur la scène et… Wouah!… Quelle sensation !… C’était vraiment génial. Depuis, on se revoit régulièrement. C’est un mec vraiment cool et fidèle en amitié.

-BM : Quels sont les guitaristes qui t’ont donné envie d’abandonner la batterie pour la guitare ?
Paul Personne : Je pense que le détonateur a été Jimi Hendrix. Quand j’étais batteur et que j’écoutais Hendrix, j’adorais Mitch Mitchell. J’aimais beaucoup comment il ponctuait ses phrases, il était très influencé par le jazz, c’était fin et mélodique. Mais la guitare me happait de plus en plus… J’avoue que Clapton et Mayall y sont aussi pour beaucoup. Il y a eu également T-Bone Walker qui était entre Blues et Rock, on jouait à la Chuck Berry et quand on faisait du Blues, c’était à la manière de Peter Green. Chez T-Bone Walker, il y avait ce subtil mélange des deux. Et puis, il me manquait quelque chose lorsque j’étais à la batterie. Je voyais bien qu’entre les guitares il se passait des choses. J’avais également envie de chanter mes chansons. Ca a été dur de trouver un batteur, mais je suis quand même devenu gratteux. Je n’ai jamais essayé d’être le plus rapide de la planète, ça ne m’intéresse pas. Je ne suis pas un super guitariste, ni un super chanteur ou auteur-compositeur, mais c’est le mélange de tout cela qui fait que les gens m’aiment bien. J’entends parfois des guitaristes qui jouent très bien et je me dis que je ne mérite pas cette place de mec de référence en France. Mais je continue toujours, dans l’espoir d’être meilleur. C’est vrai qu’au premier concert de Paul Personne il n’y avait que 80 personnes dans la salle. L’année d’après il y en avait 250, puis c’est passé à 500/700, et ensuite à 1500. Je n’ai jamais fait de musique commerciale, et je suis toujours à contre-courant, ce qui en devient original.

-BM : Comme beaucoup de guitaristes, tu as appris à jouer à l’oreille ?
Paul Personne : Oui. Tu sais je vois toutes ces revues où il y a des partitions, c’est pas mal mais c’est comme les professeurs. Il y a ceux qui te laissent être toi-même, mais la plupart veulent t’inculquer ce qu’eux-mêmes ont appris, alors qu’en fin de compte, nous avons tous notre style et notre façon de jouer. C’est en approfondissant ses défauts qu’on trouve son style. Le fait d’apprendre à l’oreille t’oblige à disséquer les choses et à garder des mélodies dans la tête. En fin de compte, tu joues ensuite des airs où malgré tout il y a un bout de toi puisque tu ne joues pas vraiment les notes. On est tous à la recherche de quelque chose mais surtout à la recherche de soi-même. On est que ce qu’on est, et c’est à travers çà que tu trouves ton chemin, ta personnalité. Les gens qui jouent, à peu près tout bien, ont perdu cette personnalité. Ce sont des supers musiciens au niveau technique, mais tu n’arrives pas à trouver un style. C’est vrai que je ne suis pas à leur niveau, mais ce que je joue ce sera moi. Chacun sa route.

-BM : Pourquoi as-tu une prédilection pour les Les Paul ?
Paul Personne : C’est marrant, parce que par le passé, c’était une guitare sur laquelle j’avait du mal à jouer. Je la trouvais un peu lourde, et au niveau ergonomie c’était gênant , tous les mecs la jouaient très basse comme Jimmy Page, ce que je n’arrive pas à faire. Ma première guitare électrique, j’étais allé l’acheter en Angleterre. C’était une Gibson SG junior blanche. Puis lorsque j’ai joué avec Linda Kheel, elle m’a prêté une SG standard avec laquelle je me suis senti très bien. Quand j’ai commencé à être fan de Rory Gallagher, je me suis mis à la Fender Stratocaster. Par contre, je n’étais pas à l’aise, mais j’ai fini par m’y faire car elle est légère et les boutons sont très pratiques. Quand je me suis remis à écouter les trois King, je me suis dit qu’il fallait que j’aie une guitare genre 3/35 ou 3/55. En fait, je voulais trouver une 3/35, et j’ai trouvé une 3/40 blonde que j’ai utilisée sur toute la fin de Backstage et une bonne partie de Paul Personne. C’est une bonne guitare qui avait tout le câblage normal mais qui, en plus, avait un bouton pour le déphasage des micros qui me donnait le son Peter Green ou BB King. Ensuite je l’ai changée car elle était trop grosse, pas facile à manier, et que je saturais avec mon ampli Marshall. Tout doucement, je suis passé à la Télécaster, avant de revenir à la Stratocaster, et d’avoir une période Gretsch. Quand j’entends ce que fait Brian Setzer, je trouve cela parfait. Et puis un jour, j’essaie une Les Paul Gold Top et là, j’ai vraiment aimé le son chaud, grave, qui convient à la tonalité de ma voix un peu cassée et voilée. La guitare n’était pas légère, j’étais un peu gauche avec, mais j’avais envie de l’apprivoiser, de la domestiquer. Il fallait qu’elle me cède à un moment ou à un autre. Je reste en apprentissage avec cette gratte, mais c’est un vieil amour entre elle et moi.

-BM : Qu’est-ce que le Blues pour toi, une simple musique ou un état d’esprit ?
Paul Personne : Je pense que c’est comme chacun le ressent. C’est tout, sauf trois accords et douze mesures pour rigoler dans un club ou un exercice de style. C’est loin d’être facile de faire du Blues. En fait, c’est en toi, se sont tes sentiments, tes états d’âme. C’est ta manière d’appréhender la vie, dont tu t’y retrouves confronté. Pour moi, c’est une super musique primale, sauvage, qui est le départ de toutes les musiques. Lorsque tu es happé par cette musique, qui correspond à ton état mental, tu peux en faire ce que tu veux. En même temps qu’elle te fait mal, elle te fait du bien. Elle t’apprend que tu n’es pas seul à aller mal. Avec le Blues, tu laisses le bon temps rouler en crachant tes problèmes. C’est une sorte de psychanalyse quotidienne où chaque chanson est un petit bout de vie. Tu le fais en jouant plutôt qu’en te mettant sur le divan.

-BM : Qu’elle a été ta première rencontre avec le Blues ?
Paul Personne : Les Stones ou les Animals, sans le savoir. Puis Ray Charles et John Lee Hooker. Je pourrais aussi dire Edith Piaf ; Moi j’essuie les verres au fond du café, pour moi c’est hyper blues. Je partais à l’école le matin en sifflotant Piaf sans me rendre compte de la grandeur de la chanteuse, de la puissance des paroles, de l’orchestration, sans me demander si c’était blues ou pas. Ca me procurait les mêmes sensations que certains Blues, ca me prenait aux tripes. Et avant Piaf, lorsque Johnny chantait J’suis mordu pour un petit oiseau bleu, ca me travaille autant q’ca peut ou Depuis qu’ma môme est partie, je ne marche plus qu’au whisky, c’était ça mes premiers blues. Des sensations que je comprenais, donc qui me touchaient. Après, il y a l’âge de la rebellion, où de toute façon, la musique des parents ne t’intéresse plus. Néanmoins,le vrai moment où j’ai pris conscience de ce qu’était le Blues, c’est en 1966, avec John Mayall.

-BM : Tu as assuré la première partie de plusieurs concerts de Luther Allison en 78, quel souvenir gardes tu de Lulu ?
Paul Personne : Drôle de mec ! La première fois que je l’ai vu, c’était dans une boîte qui s’appelle Le Pied, à 40 km de Toulouse, sur la route d’Auch. Lorsque j’ai vu Luther ce soir-là, ça a été une grande claque. C’était un super showman, la représentation du Bluesman moderne tel que je l’imaginais. Il était grand mec, beau gosse, jouait super bien de la gratte, chantait d’enfer. Il communiquait avec le public d’une manière que je n’avais jamais vu auparavant. A la fin du concert, on m’a présenté à lui, c’était le même homme, aussi chaleureux que sur scène. Il m’a dit Year, let’s have a jam. J’avais peur qu’il me propose ce genre de truc, car lorsque tu viens d’admirer un mec, tu flippes de jouer avec lui. Il m’a filé sa gratte, une belle 3/35, mes potes se sont mis à la batterie et à la basse, il a pris son harmonica, et on a joué Got my mojo working et Little red rooster. Ca a été un super moment. Puis on a eu quelques dates ensemble, dont une à Orléans. Ce soir là nous avons joué 35 minutes avec trois rappels, quand tout à coup, mon pote qui était régisseur me dit : Luther gueule, tu as joué trop longtemps ! J’avais un tel bon contact avec lui que ça m’ennuyait beaucoup qu’il le prenne comme ça. Je suis descendu le voir en lui disant : Qu’est-ce qu’il y a Luther, il y a un problème, on me dit que j’ai joué trop longtemps ? Il avait ses gros yeux de black en colère et me dit : Oui, une première partie ne doit pas être supérieure à 15 minutes Lorsque je faisais la première partie avec Muddy Waters ou BB King, c’était comme ça ! Alors je lui dis : Je sais bien, la première partie, c’est l’amuse-gueule, il faut chauffer la salle et laisser la place, mais si tu veux savoir, ils sont chauds, ils t’attendent. Tu es dix fois meilleur que moi, vas-y, montre-leur. Et il m’a répondu : Oui, je sais mais tu m’as mis la barre haute (rires). Et il a joué comme un dieu. Le soir après le concert, il m’a même dit : Tu peux jouer le temps que tu veux. Il me disait toujours : va aux States, Paul, va aux States. Et je lui disais Tout ce que je chante est de culture américaine, je n’ai rien à leur apprendre, en plus je chante en français. Et il me répondait : Il n’y a personne qui joue le Blues comme toi Paul. La dernière fois que je l’ai vu, c’était à Taratata. Quand j’ai appris sa mort, je ne savais pas qu’il était malade, ça m’a fait beaucoup de peine. J’ai regretté de ne jamais lui avoir dit ce qu’il était pour moi.

-BM : A quelle occasion as-tu fait un bœuf avec Albert King ?
Paul Personne : A Saint-Jean de Maurienne, lors d’un festival qui durait 3 jours. J’ai joué le premier soir, et l’organisateur m’a proposé de rester les deux autres soirs. Le lendemain, il y avait Albert, que je suis allé voir à la balance. Puis j’ai attendu le concert du soir, sans savoir que mon manager avait demandé au régisseur si Albert était d’accord pour jouer avec un bluesman français. Celui-ci avait rétorqué : a french bluesman ? Yes ! J’étais dans le public et ils avaient préparé mon ampli et ma guitare sans que je le sache. Au bout d’un moment, Albert dit en anglais : il paraît que vous avez un chanteur de blues assez connu, qui s’appelle Paul Personne. Je ne sais pas s’il est là, mais ce serait sympa s’il pouvait me rejoindre sur scène. Je n’étais pas du tout préparé à ça. Je me lève, je rase les allées, et mon pote qui m’attend avec une guitare, me dit : Elle est accordée, tu n’as plus qu’à y aller. Et je me retrouve sur scène avec Albert, qui fait deux mètres. Moi qui ne suis pas vraiment grand, on aurait dit le Petit Poucet et l’Ogre. Je flippais, et lui qui a la réputation d’avoir mauvais caractère, a été très généreux avec moi. Sur le morceau que l’on a joué, il m’a filé le solo et je lui ai fait des plans, ses plans. Il a rigolé et on a fait un dialogue de guitares, qu’il a terminé sur un solo. Après ce titre, je l’ai remercié, et il m’a dit de rester. C’est un super souvenir, quel bonheur !

-BM : Que penses-tu de l’émergence de groupes français comme Doo The Doo, Franck Ash ou Bo Weavil ?
Paul Personne : j’ai vu un paquet de groupes de Blues ici, dont Doo the Doo que j’ai trouvé excellent. Ils ont ce son très compact, roots, et en plus ils ont un super gratteux. L’émergence de groupe de Blues en France, c’est très bien. Plus il y en aura, mieux ce sera, mais ils ne doivent pas vendre leur âme au Diable. J’ai longtemps ramé moi-même. C’est un choix de vie.

-BM : Globalement, que penses-tu des groupes que tu vois ici ?
Paul Personne : Tout d’abord, j’aimerais dire qu’ici, passé dix heures du soir, il ne se passe plus rien dans la région. Même pour les jeunes Aussi, lorsqu’il y a 18 mois, Christophe Yama a eu l’idée géniale de construire cet endroit et d’y faire venir des groupes, cela a été une bouffée d’air frais pour tout le monde. La programmation est très éclectique, et on peut écouter aussi bien du Blues, du Jazz ou du Rock, que de la musique celtique. Pour en revenir à ta question, j’ai moi-même fait les bars et les petits clubs quand j’étais plus jeune. C’est très ingrat pour les musiciens qui y jouent, car les gens ne viennent dans ce genre d’endroit que pour y boire un verre. Ecouter de la musique, c’est un bonus mais sans plus. Mais lorsque tu es jeune, tu es prêt à jouer où l’on voudra bien te le permettre. Le problème de ces groupes , c’est que bien souvent, ils ne jouent que des reprises. S’ils veulent se sortir de là, ils doivent créer, faire leur propre compos, et éviter l’anglais. En tout cas, je prends bien souvent mon pied lorsque j’entends ces groupes.

-BM : En France, penses-tu avoir été un précurseur à l’instar de Patrick Verbeke, Bill Deraime ou Benoit Blue Boy ?
Paul Personne : Avec Benoit qui fut le premier à jouer du blues en français, on était sur la même longueur d’onde, lui en français, moi en anglais. Puis Bill qui aime mettre du reggae dans sa musique est arrivé, et il reste très populaire, tandis que Patrick est plutôt Blues roots et Chigago Blues. C’était sympa lorsqu’il avait son émission de radio. Ce qui est bien, c’est que nous avons tous notre particularité. Je me considère comme le moins puriste, car je ne peux oublier les pop-songs de ma jeunesse qui provenaient de ces groupes anglais. Je me laisse aller à mes influences et je n’essaie pas de me canaliser uniquement Blues. Des tas de gens me demandent : Paul quand nous feras-tu un vrai disque de Blues ? Ca me titille parfois, c’est dans un coin de ma tête et je sais qu’une partie de mon public attend ça de moi. Si je fais ça un jour, ce sera une sorte de récréation pour me faire plaisir et pour faire plaisir aux tas de gens qui n’attendent que ça.

-BM : As-tu des regrets de n’être jamais parti aux States ? ou as-tu des projets de ce côté-là ?
Paul Personne : Je ne peux pas avoir des regrets par rapport à ça puisque je n’ai pas connu les States. Ca a toujours été un rêve. Quand j’étais môme, j’ai été élevé au western et non pas à la science-fiction même si je n’aime pas tout. Aujourd’hui, je pourrais me payer un voyage aux Etats Unis mais lorsque j’étais môme, je n’en avais pas les moyens. Néanmoins, je lisais Kérouac, j’étais fan de Dylan, je faisais du stop en France et j’aurais voulu faire la même chose sur la Route 66 ou la Highway 61. Tout le monde me disait de partir la-bas avant Paul Personne, mais pour y faire quoi ? Avec juste une gratte, qu’est-ce que j’aurais pu faire la-bas ? Je suis allé trois fois au Canada et l’accueil a été formidable. Le mélange de ma musique a été très apprécié la-bas. Plus les années passent, plus j’en apprends sur les States et moins j’ai envie d’y aller, mon rêve de gosse a été méchamment détruit. C’est conservateur et réac à fond la caisse, très raciste aussi. J’ai rencontré John Trudell, l’ex militant indien devenu poète chanteur, qui est un gars adorable. Sa maison a brûlé avec sa femme et ses deux gosses à l’intérieur. Probablement du fait du FBI ou du KKK. On est en 2003 et il se passe toujours ce genre de choses terrifiantes. J’ai gardé une certaine naïveté au fond de moi mais j’ai aussi appris ce qu’était l’être humain. C’est pour ça que je pense que le Blues a toujours lieu d’être. J’aime cette musique là, elle est profondément ancrée en moi. Elle fait partie de ma manière de vivre et de ma manière d’être et de penser. Et tant que le monde sera si laid, avec son cortège de viols, de meurtres, de guerres, de haine et de violence, le Blues demeurera.

-BM : Musicalement, comment te vois-tu dans dix ans ?
Paul Personne : J’aimerais bien jouer encore, ne pas avoir d’arthrite. Même si je ne suis pas le meilleur guitariste, ça me plait de prendre tous les jours une guitare et de jouer avec. J’espère encore avoir des choses à raconter et lorsque je vois BB King, qui est quelqu’un de très humble et qui se bonifie d’année en année, je reste optimiste. Je me vois bien à 70 ans jouer debout, assis ou allongé…. Ce que j’espère, c’est que cette désillusion de la vie qui est en moi, ne m’amène pas à faire une connerie. J’ai envie de continuer à raconter des histoires tout en ayant un but dans la vie. Il y a tellement de mômes qui n’ont pas de but. Tout jeune, même si je devais travailler à l’usine, je savais que mon but, c’était de devenir musicien. J’y suis arrivé, et c’est déjà gagner quelque chose sur le temps qui passe. Tu continues, et puis un jour tu as un arrêt cardiaque et c’est fini. C’est la loi de la vie !

-BM : Merci de m’avoir consacré tout ce temps.

Propos recueillis par Patrick Guillemin pour Blues magazine.
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