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Rencontre avec Paul Personne : Promo Patchwork 10 mars 2000 l'Humanité

Paul Personne :" Le blues est une mer agitée "

Après Comme à la maison, Paul Personne revient avec un nouvel album dans lequel il tente de dire la " beauté du blues ", sa lumière depuis bientôt vingt ans . Pour Patchwork électrique, le chanteur-guitariste français a fait appel aux meilleurs musiciens américains. Un disque au rendu classique qui ne cède pas aux modes musicales actuelles.

Et si le blues était cette lumière sans laquelle peu de musiciens ne sauraient vivre ? Patchwork électrique, le dernier album de Paul Personne n’entend pas céder à la mode des musiques actuelles. Le chanteur est trop modeste pour prétendre être un véritable bluesman : juste une dominante bluesy-rock dont, seul, il a le secret. Sa voix n’a pas la raucité voulue pour faire de lui un grand du boogie-blues. Il possède, en revanche, une arme fatale : un jeu de guitare à la Hendrix à rendre jaloux bien des musiciens américains. Il a suffi qu’il claque des doigts pour que ceux-ci traversent aussitôt l’Atlantique pour jouer avec lui. Magnus Person, Larry Mullins , Dane Clark, respectivement batteurs de Eagle-Eye Cherry, Iggy Pop et de John Mellencamp se sont ainsi retrouvés au studio Miraval, à Brignoles, dans le Var, pour enregistrer le 11e album de sa carrière. À leurs côtés, les fidèles musiciens français de Paul étaient là : Christophe Garreau (basse), Olivier Lanneluc(claviers) et Michel Billez(saxophones). Le scratcheur DJ Sya Styles, lui, a apporté sa touche, aux platines, sur la Beauté du blues, chanson dont les paroles ont été écrites par Hubert-Félix Thiefaine. Le titre d’ouverture Aphonie cérébrale vaut à lui seul le détour donnant le ton à des guitares qui miaulent ou se font rageuses selon l’humeur. Patchwork électrique, de par sa maturité d’interprétation, est l’album le plus abouti de Paul Personne, qui bientôt fêtera ses vingt ans de route. Le road-movie du rocker originaire d’Argenteuil ne fait que commencer.


Pour Patchwork électrique, vous avez tenu à vous entourer de musiciens américains. Est-ce parce que vous considérez que nous n’avons plus de bons instrumentistes ?

Paul Personne. J’ai une vieille complicité avec les musiciens français avec lesquels je joue. Là, j’avais envie de casser les habitudes. Cet album est un assemblage. Avant d’entrer en studio, j’avais une cinquantaine de chansons que j’avais maquettées sur mon magnétophone quatre pistes. J’aurais pu faire trois enregistrements vraiment différents : un " blues-rock " déglingué, un " country " genre coucher de soleil ou un disque plus expérimental. Au final, on a un melting-pot de tout cela : un univers de blues-rock et de ballades. C’est un disque traditionnel en fin de compte. C’est aussi un assemblage de musiciens où je suis allé chercher la basse-batterie d’Iggy Pop (Larry Mullins et Hal Cragin), le batteur de John Mellencamp (Dane Clark). Le plus difficile a été d’établir le contact car ce sont des instrumentistes très pris. Je les ai conviés à venir jouer au studio Miraval dans le Sud, où j’avais déjà fait les albums Rêve sidéral et Instantané au mois d’août...


C’est important d’enregistrer loin de Paris ?

Paul Personne. Je n’ai plus envie de travailler en ville, pour décompresser, d’aller boire un coup dans un bar ou de sortir le soir au restaurant, ou dans une boîte. Ce qui m’intéresse quand je suis en studio, c’est de faire ma musique. Là-bas, on est sur une colline au milieu des vignes. Il y a un côté colonies de vacances pour adultes. Ça permet des complicités entre musiciens que nous n’aurions pas dans un autre cadre.


Votre album est d’une facture relativement classique .Comme les musiques actuelles ne vous intéressaient pas ...

Paul Personne. Quand j’ai commencé à imaginer Patchwork, on me disait : ce serait bien que tu fasses un album plus moderne. J’ai écouté des tas de trucs qui se font actuellement , Lauryn Hill et d’autres. Je me suis dit : c’est quoi un album moderne quand on parle de musique ? John Lee Hooker ne le serait pas alors que NTM le serait ! C’est une question de sensibilité musicale tout simplement.


Qu’est-ce qui fait, selon-vous, la Beauté du blues ?

Paul Personne. C’est un sentiment universel. Je dis souvent que tant que le monde est comme il est nous aurons de bonnes années de blues devant nous. Aujourd’hui, il y a des tas de jeunes musiciens qui font appel à cette source. Le môme qui aime le trip-hop ou le rap, un jour il croisera sa route. Peut-être il ressentira une émotion parce que c’est une musique qui touche. Cela dit, je respecte trop les bluesmen pour dire que je joue du blues. Disons que ma musique est bluesy.


Vous avez toujours été la recherche d’un son rugueux. Pensez-vous aujourd’hui avoir atteint cet objectif ?

Paul Personne. Je pense que je suis sur la voie. J’essaie de faire des choses au plus près de " l’os ".


Vous avez fait appel à Hubert-Félix Thiefaine qui signe les paroles de deux chansons. Pourquoi lui précisément ?

Paul Personne. J’ai toujours été fan de son style. Au moment où il m’a invité à jouer avec lui dans sa dernière tournée à l’Olympia, je suis allé le voir pour lui demander si ça l’intéressait que l’on travaille ensemble. Je me souviens d’avoir passé une super-soirée chez lui dans le Jura, où l’on a fignolé les chansons. Ça été vraiment plaisant.


Vos albums font tous la part belle aux guitares. Sauriez-vous vous passer de cet instrument ?

Paul Personne. Oui, si j’avais trouvé ma passion dans autre chose, si j’avais été pilote d’avion, menuisier ou peintre. La guitare aurait alors été un simple hobby. C’est vrai que ne pas jouer une journée, c’est dur. La guitare fait partie de mon univers. J’aime l’instrument. Ça résonne dans le corps. Quand j’apprenais, j’en jouais pendant six ou huit heures. J’écoutais de la musique, je piquais des plans en mangeant le minimum. J’étais obnubilé par ça. Je voulais arriver vite. Je me suis rendu compte qu’on n’y arrive que rarement parce que la colline, elle est très haute et que jamais on n’atteint le sommet. C’est formidable d’avoir cette carotte devant soi. Imaginez que je puisse dire : je suis arrivé ! Ce serait triste.


Vous étiez l’autre jour au concert de Carlos Santana organisé par Radio France. C’est un guitariste que vous aimez particulièrement ?

Paul Personne. C’est quelqu’un que j’admire et que j’apprécie. Pour l’avoir rencontré, j’ai découvert un homme humble. Il a une belle mentalité. Ce qui me plaît dans sa musique, c’est l’intelligence du mélange d’influences latino, mêlées au blues et au rock des années soixante et soixante-dix. Ça a donné un cocktail sulfureux dès ses premiers albums. Chez lui, on sent la terre qui gronde et brûle sous les pieds. Il a un son lumineux. C’est une musique optimiste qui fait du bien au corps et à la tête.


Vous habitez à la campagne. N’est-ce pas en contradiction avec le blues, qui est un genre éminemment urbain ?

Paul Personne. J’ai toujours été branché par la campagne. J’étais un môme timide, sauvage. Forcément, la vie de la ville, je l’ai toujours vécue à reculons. Cela dit, le fait de vivre de manière country ne m’a jamais poussé à jouer ce type de musique. J’ai toujours eu un feu qui m’amenait à brancher une guitare électrique. Mon éducation musicale s’est faite dans les années soixante. J’ai été élevé à la guitare qui miaule.


La vie que vous menez aujourd’hui correspond-elle à celle que vous imaginiez quand vous rêviez de devenir musicien ?

Paul Personne. Quand on est jeune, on a une vision un peu idyllique de la vie de musicien, à force de regarder les Beatles ou les Stones : les hôtels de luxe, les super-tournées, les filles qui hurlent, l’argent facile. C’est vrai qu’il y a ce côté. Si pour certains ça va vite, pour moi, ça n’a pas été facile du tout. C’est un mélange de rêves brisés, d’envies, de nouveaux départs, comme une mer agitée. J’ai un sac à dos plein de doutes même si je n’y pense pas tous les jours. Si j’ai un regret, c’est de ne pas avoir eu la notoriété que j’ai aujourd’hui vingt ans plus tôt.


Satisfait de votre parcours ?

Paul Personne. J’ai eu du bol dans la mesure où je n’ai jamais voulu faire de concession : ne pas accompagner les artistes de variétés, ne pas faire de bal, dire non aux gens des maisons de disques quand ils voulaient m’habiller en costume ou me faire couper les cheveux. À un moment, ma musique a rencontré le public. À l’époque, c’était décalé par rapport aux habitudes d’écoute : un truc blues-rock-jazzy. Au début des années quatre-vingt, avec Barjo Land, Comme un étranger, il y a eu une carte de visite. Mais c’est avec la sortie de Comme à la maison, Rêve sidéral d’un naïf idéal et Instantanés, que j’ai senti que le train passait devant chez moi. Au final, si je peux m’attribuer une qualité, c’est la persévérance. Je n’ai jamais lâché le bout. C’est sûrement ce qui fait que je suis encore là alors que, par moments, j’avais plein de bonnes raisons pour arrêter. L’entêtement, c’est ce qui peut payer le plus pour un musicien. Je m’en sors pas mal en fin de compte.

Propos recueillis par Victor Hache


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